Un
soir seulement, c'est bien peu (Théâtre - extrait)
Préambule historique de Roland Farré
Illustré par Angelo
Madyalès
- Scène 3 - Un groupe de gens du peuple -
- La peste est venue jusqu'à Chambéry, il y a deux ans, il fallait enfermer les porcs, tuer les chats et les chiens.
- Le Jacquse Guiot, mon cousin, il en a tué quatre-vingt deux à lui tout seul, des chiens, et il a reçu six florins pour sa peine.
- Il y a eu trois mille cent morts et quatre cents maisons incendiées
- pareil à Aiguebelle, à Modane, à Moûtier...
- On a beau prier Monseigneur Saint Bon et Madame Sainte Régine, le ciel ne veut pas nous entendre.
- Moi, je vais vous dire : c'est la faute aux semeurs de peste qui engraissent nos portes avec leurs plaies...
- Ceux qui font ça, c'est lesa mauvaise race des journaliers, des vagabonds et des fainéants.
- Et s'il n'y avait que la maladie ! Depuis la nuit des temps, nous autres, on vit avec la tête levée dans la peur du trop de pluie, du trop de sec, des neiges précoces, des gels tardifs et des grêles d'été.
- Manger à sa faim est une grâce !
- Le curé de Chindrieux a dit qu'avec une bouteille, un morceau de viande ou de pain blanc, n'importe qui pourrait conduitre un paysan au centre des enfers.
- Il dit qu'il n'y a qu'à nous regarder, nous et ceux des autres villages pour voir le portrait tout craché de la misère.
- Moi, j'en connais pour qui c'est toute le contraire... ceux-là habitent les châteaux et à chaque repas ils voient arriver sur leur table toutes les bêtes de la Bible : tout ce qui rampe, tout ce qui nage, tout ce qui vole, tout ce qui chante, tout ce qui beugle, tout ce qui bêle, ils le dévorent sans se soucier de ceux qui n'ont que du pain gris. Le pain de détresse. Celui qu'on donne aux ouvriers allant et venant, aux pauvres et aux chiens du château.